La convention citoyenne pour le climat a montré qu’il pouvait ressortir d’un débat citoyen des lignes de force ayant du sens, dans la limite des compétences des participants et sous réserve de leur faisabilité technique et économique. Certaines du moins.

L’électricité est un domaine complexe qui n’a pas été abordé par la convention, au regard de choix officiels qui interrogent quant à leur rigueur technique et à leur justification économique à moyen et long terme. Une interrogation qu’il convient de prolonger sur les thématiques de la flexibilité et du stockage de l’électricité. Merci à Bruno Wiltz de nous intéresser à ces différents aspects d’une question centrale : comment la France avec ses singularités historiques en la matière peut-elle avec le plus d’efficacité globale réussir sa contribution à la transition écologique ? Cet article date de la fin 2020, il n’en conserve pas moins sa pleine acuité.

– Bruno Ladsous

 

Des consultations citoyennes en général

Les consultations concernant le climat et la relance économique sous tous ses aspects ont mobilisé au printemps 2020 de l’ordre de 300.000 personnes, venant de plateformes de consultations réunies par  France Stratégie (centrées sur le thème : « pour un après soutenable ») auxquelles s‘ajoutent la convention citoyenne pour le climat, les nombreuses interventions médiatiques comme les « réunions digitales », des réunions parlementaires et des débats BIP Enerpresse tous centrés sur la maîtrise du climat.

Le mimétisme avec la pandémie qui se poursuit est profond. « Toute personne bien portante est un malade qui s’ignore », selon Jules Romains, on a donc consulté beaucoup de « malades » mais comme pour la Covid 19 on n’avait ni les masques, ni le matériel technique, ni les vaccins. La grande majorité n’a pas été testée et parmi eux peut-être les vrais malades.

Quant aux consultés, ils sont devenus des docteurs d’ordonnance. Pourtant, « Ne tombons pas dans une démocratie d’opinions », a dit le président le 14 juillet. Il n’est donc pas certain que les consultations « participatives », prônées comme un grand progrès de la démocratie améliorent le système politique, et l’expérience des gilets jaunes a montré un recul du respect aux pouvoirs, accompagné d’une insatisfaction durable. Pourtant ce respect est une nécessité pour être efficace et résiliant. Connaître les besoins du bon peuple – dont le bon sens est légendaire – est une évidence, mais donner des armes pour se faire fouetter est du masochisme inconscient. La démocratie grecque ne concernait que les citoyens : ceux qui étaient jugés compétents.

Car c’est là où le bât blesse, dès lors que la compétence commence nécessairement par la connaissance. Comment des gens, même des experts dans leurs domaines, peuvent-ils exprimer utilement des besoins et des solutions en-dehors de leur compétence ? L’ignorance n’est pas une faute, ce qui l’est est de leur demander leur avis, et voici un exemple dans le domaine de l’énergie : 70% des français pensent que le nucléaire émet beaucoup de CO2, et donc beaucoup plus que les électricités intermittentes, considérant que la vapeur d’eau sortant des colonnes de réfrigération des centrales sont des molécules carbonées très antiécologiques. Qui les contredit ? Personne, d’autant plus étonnant que cela va plus loin, la production des matériaux utilisés pour ces énergies émettant plus de CO2 que le nucléaire, à condition de raisonner sur la production réelle d’électricité et pas sur la capacité, la puissance installée … « no comment » !

L’ignorance n’est pas la faute des ignorants, c’est celle des « responsables » de toute nature, incluant les médias, vecteurs d’informations fausses, volontaires ou non, qui rendent les lecteurs ou auditeurs croyants, mais dans l’erreur. Si la publicité se permet de ne présenter que le bon côté de leurs offres, les pouvoirs publics de tous ordres ou ceux qui travaillent pour eux n’ont pas le droit d’être complaisants : pourtant, dans ce domaine de l’énergie combien de non-dits, voire de mensonges … une incompétence généralisée ou des intérêts bien instrumentés en serait-elle la cause ?

Personne ne détient la vérité, pas même les ingénieurs et les scientifiques. Bon nombre de leurs succès résultent des aléas imprévus de leur expérimentation, étudiée et raisonnée. Mais à quoi bon, puisqu’ici on les convoque peu ou pas du tout. Dans les sondages de France Stratégie, je n’ai entendu qu’une fois le mot technologie, mais seulement pour dire que si elle fait « consensus » pour la moitié des sondés, elle fait « dissensus » pour l’autre moitié … !

Alors oui, la technologie peut conduire à des applications nocives, déjà réelles, mais si la technologie ne bénéficie pas d’une large majorité, où allons-nous ? La désacceptabilité a souvent le dernier mot !

 

La convention citoyenne

Revenons à nos moutons : les ingénieurs et scientifiques sont de fervents soutiens de la défense du climat, même ceux qui pensent que son évolution ne résulte pas des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Chaque pays ayant ses particularités très différentes, est-il raisonnable d’imiter ce que fait le voisin ? Panurge conduit ses moutons à leur perte, et lui-même se noie en essayant de retenir un mouton plus fort que lui.

Le point positif de la convention, c’est d’avoir laissé de côté la production de l’énergie, pourtant grande « coupable » de fournir 80% de l’énergie mondiale avec des produits carbonés, dont personne ne pourra se passer pendant longtemps encore. Ils ont préféré s’occuper de la consommation : c’est le bon sens populaire, qui rejoint enfin les recommandations très anciennes des « sachants » dans leur domaine, dont bien entendu les Ingénieurs et Scientifiques.

Efficacité et sobriété a donc été leur priorité, jugée de loin la plus efficace par rapport aux autres moyens et particulièrement pour la France, grâce à l’électricité nucléaire, qui avait éliminé largement les productions carbonées, et assurer une indépendance énergétique de l’ordre de 50%. Mais il ne faut pas limiter cette recommandation aux bâtiments, voire à la mobilité, traitée de façon assez coercitive et donc risquée, il faut l’étendre à l’industrie et l’agriculture.

Il n’est guère intéressant de donner des avis sur ces 149 propositions ou souhaits, sans en avoir mesuré les conséquences, l’efficacité, la technologie qu’elles exigent et le financement. Peu de critiques techniques sont à faire pour le moment, compte tenu de l’absence actuelle de ces éléments de mesure, sauf quelques remarques non éliminatoires comme la taxation des véhicules selon leur poids, risquant d’atteindre les véhicules hybrides ou électriques chargées de batteries très lourdes.

Zoom sur les batteries :

Ces batteries viennent essentiellement de Chine, ce qui fait que l’impact carbone complet de ces véhicules est analogue à celui de véhicules diesel, dans les pays où l’électricité est carbonée, d’après une étude par des scientifiques allemands. Des pays tels que l’Allemagne ne devraient donc pas développer ces véhicules, qui participent à une augmentation indirecte des émissions de CO2 dans le monde, a fortiori si elle élimine le diesel avant l’essence, le diesel moderne étant 20 à 25% moins émetteur de CO2. Pour la France à l’électricité encore bien décarbonée, le bilan global serait positif, mais beaucoup moins qu’on le dit.

Après mesure sur les quatre points cités ci-dessus, une part significative des propositions aurait dû être éliminée.

Parmi ces points de mesure figure évidemment le financement y compris le financement des conséquences économiques induites. Il nous semble imprudent de disperser les efforts, et nécessaire de se focaliser sur les propositions les plus efficaces.

Quelle électricité ?

La France suit l’exemple allemand à l’électricité 10 fois plus carbonée, alors que sa position est unique par rapport aux autres grands pays : sécurité, coût, verte depuis 30 à 40 ans. Par contre, à 30% d’intermittence électrique, l’Allemagne est dans une situation catastrophique au point de démarrer une centrale au charbon en 2020, de prévoir la construction de centrales gaz remplaçant totalement la fermeture de son nucléaire, d’avoir besoin de ses voisins pour évacuer ses excédents, créant un marché de gros européen à prix négatifs, pendant que le prix pour les consommateurs grimpe aussi vite que le volubilis. En France, le prix continue d’augmenter, dès août 2020, sans doute parce que c’est moins visible en été ! La France, très en « retard » (en quoi est-elle en retard ?) a pourtant frôlé un black-out en été 2019, suite à des arrêts pour maintenance de centrales nucléaires, et la menace s’accentue. La réalité, c’est que la France n’avait nullement besoin d’électricités intermittentes pour lutter contre le réchauffement climatique, priorité officielle. De plus, même avec seulement 10% d’électricité intermittente, la France construit une centrale à gaz et décide également de maintenir une centrale charbon jusqu’en 2026 pour pallier les aléas intermittents ; enfin, tout cela conduira à la hausse des émissions de CO2 liées à la production d’électricité, de l’ordre du double dans quelques années, toutes choses égales par ailleurs, augmentation due aux centrales à gaz venant au secours des électricités intermittentes.

En outre, les coûts globaux sont catastrophiques : c’est une profonde hypocrisie de clamer que les prix baissent, c’est vrai à la source, mais on oublie complètement les coûts d’accompagnement : capacités de secours, capacités d’effacement ,- « on » pense à doubler les prix de compensation pour l’augmenter, car très insuffisant-, les réseaux dont le transport par RTE qui demande 33 milliards € jusqu’en 2035, pour couvrir les besoins, le réseau de distribution, le stockage très gourmand, et les coûts induits comme les coûts de compensation de centrales arrêtées comme Fessenheim ou l’augmentation automatique des subventions lorsque le prix du marché de gros européen baisse à cause des surproductions devenant permanentes, sans compter les coûts de démantèlement qui arrivent et sont totalement oubliés. Notons que l’Allemagne s’offre un nouveau virus dès à présent sur ce dernier point.

Recette de grand mère : faire quelques calculs simples sur la seule ex-CSPE, diviser les sommes consacrées annuellement à chacune des électricités intermittentes par les productions annuelles réelles de celles-ci, vous trouverez des multiples de 3 à 8 des chiffres publics, mais ne tenant pas compte des coûts d’accompagnement et des coûts cachés ; multiplier encore par deux au moins.

Clients et contribuables deviennent ainsi les nouvelles Danaïdes, celles qui devaient accepter de remplir sans fin un tonneau sans fond ; c’est vrai aussi pour les moutons : on les tond une fois par an.  Alors, ralentir massivement le développement des « machines intermittentes », à la grande satisfaction de nombreux français, maintenant qu’il est difficile de l’arrêter totalement, et consacrer les sommes ainsi économisées à l’efficacité et la sobriété sera beaucoup plus efficace. Trop compter sur la planche à billet serait nuire à nos enfants et petits-enfants, au-delà du seul changement climatique.

Flexibilité et stockage de l’électricité, quelles perspectives ?

(réf. débat BIP ENERPRESSE du 7 juillet)

Organiser une réunion entre spécialistes, sur ce thème est « symptomatique » de la fragilisation du système électrique européen, car la flexibilité de court terme est menacée : plus la part des électricités intermittentes est grande, plus elle est menacée en l’absence de solutions suffisantes de remplacement rapide. La France ne dispose pas de beaucoup de centrales gaz, et se débrouille avec ses centrales nucléaires, et des effacements de consommation négociés avec les clients électro intensifs pour 2,6 GW, ainsi que des importations ou exportations selon les moyens et des prévisions plus ou moins aléatoires.

Pour 2020 et les années suivantes les révisions des réacteurs nucléaires vont effacer durablement d’importants moyens de production, qui s’ajoutent à l’arrêt définitif des deux réacteurs de Fessenheim très mal venu, et, dans un futur proche, des centrales charbon. Or 1° de moins en hiver entraîne un besoin supplémentaire de 2GW, et 10° de moins 20GW soit 30% de la puissance moyenne utilisée ou de la capacité des réacteurs nucléaires. L’importation a pu régler partiellement le problème les années précédentes avec ennuis et difficultés, mais les surcapacités non intermittentes continuent à disparaitre en Europe, et notamment en Allemagne avec ses 6 centrales nucléaires arrêtées d’ici 2022. D’ici 2030 on aura éliminé 63 GW pilotable en Europe soit 40% des puissances installées pilotables.

La flexibilité long terme est donc bien plus menacée que celle du court terme. ENTSOE a calculé qu’un black-out extrême, tenant compte des effacements et autres mesures adaptées, entrainerait une perte de 30 milliards d’euros, soit 0,15% du PIB européen. Cette fragilité se mesure aussi avec l’augmentation permanente des prix négatifs du marché de gros européen, qui a culminé à 75H au printemps 2020. La pandémie a joué son rôle, en montrant que plus le ratio de capacités intermittentes, capacités pilotables, augmente, plus la flexibilité est menacée. Elle a aussi démontré que plus la volatilité des prix augmente, plus le marché présente de risques, interdisant les investissements de durée, conduisant à des aides d’Etats indispensables, comme à Hinkley Point, et donc qui vont s’amplifier dans toute l’Europe.

Comment résoudre ce problème dual : les excédents comme la pointe solaire très importante en milieu de journée, mieux prévisible que les pointes éoliennes, les déficits liés à la demande journalière, hebdomadaire, saisonnier, sans oublier que le développement massif des pompes à chaleur accentue la demande lors des périodes relativement froides, perdant totalement leur efficacité, et justifiant le développement de pompes à chaleur hybrides, un peu moins « vertes ». 

Les moyens actuels pour y faire face sont faibles. En France, les STEP déjà très exploitées ne représentent que 3,5GW avec des perspectives limitées de développement ; c’est globalement, la même situation en Europe. De même, en France, la capacité d’effacement ne représente que 2,6 GW ; l’objectif est de la porter à 6 GW en 2028, et pour y arriver les appels d’offre pourraient doubler les compensations de 30€/MWh et les porter à 60€. De son côté, l’Allemagne veut construire des centrales à gaz, compensant les productions nucléaires puis celles des centrales à charbon. Les excédents de capacité sont déjà très importants et continueront à progresser. Batteries, Hydrogène, Gaz vert sont les pistes étudiées notamment par E-CUBE avec un scenario 2050 avec nucléaire à 30% de production et STEP qui montre que les solutions gaz renouvelables hydrogène ou biogaz sont deux fois plus économiques que le système batteries : 70€/MWh contre 130 /MWh et que l’optimum est obtenu par une utilisation conjointe, en les utilisant dans leur zone de compétitivité, par exemple les batteries pour les besoins fréquents et répétitifs de type journalier (étude consultable sur le net).

Ces études font référence au coût LCOE qui s’agissant des électricités intermittentes ne comporte pas leurs coûts induits, hors STEP et effacement, non plus que les coûts des réseaux de transports et de distribution, les démantèlements, les compensations et toutes les externalités imputables aux électricités intermittentes, et retiennent un taux d’actualisation de 3% … aveu implicite que les électricités intermittentes n’ont aucun avenir économique au regard de leurs durées de vie courtes. De plus les données prises pour le nucléaire sont étonnantes, semblant tenir compte du faible taux de marche du nucléaire résultant par moments des électricités intermittentes, avec une durée de vie de seulement 40 ans pour Flamanville. Dans ce scénario, le biométhane serait très majoritaire à 32GW de puissance pour 48TWh de production, contre 9GW de puissance pour l’hydrogène et une restitution de 11TWh, et 2 GW pour les batteries et 1 TWh de restitution.  Mais à quel prix ?

Ancien Vice-Président des IESF (Ingénieurs Et Scientifiques de France)